L’avenir de notre chanson : une inquiétante sensation de déjà-vu
Au cours des 40 dernières années, chacun d’entre nous a, à un certain moment, occupé la fonction de président de l’ADISQ. Notre métier a été — et pour certains, est toujours — d’accompagner des artistes dans le développement de leur carrière. Nous avons vu des foules vibrer au son de notre chanson, nous avons été les témoins privilégiés du bonheur que la musique d’ici a su engendrer auprès de centaines de milliers de fans.
Cela est une évidence : au Québec, le talent musical brut a toujours existé. Mais il ne faudrait pas oublier que, pendant longtemps, nous avons laissé à des multinationales américaines le soin d’accompagner ce talent vers le public. À la fin des années 70, ces entreprises ont abandonné nos artistes, jugeant notre marché peu intéressant, parce que trop petit. Une poignée d’entrepreneurs allumés, passionnés et visionnaires ont aussitôt saisi l’occasion, et posé les jalons d’un écosystème musical indépendant se consacrant à notre musique.
Rapidement, voyant l’importance de se doter d’une voix collective, ils se sont regroupés, et en 1978, l’ADISQ était née, ainsi que son incontournable Gala.
40 ans plus tard, l’association est devenue une véritable institution. Elle a mis en place une vaste structure qui a encouragé la création et l’amélioration de politiques publiques clés en matière de droit d’auteur, de financement et de visibilité des contenus. Tout cela a contribué de façon majeure à l’épanouissement et au rayonnement de notre chanson, ici, et partout dans le monde.
Le public québécois a toujours été au rendez-vous. Fidèle, passionné, fier.
Aujourd’hui, la consommation musicale se transforme profondément. Nos CD cohabitent désormais avec des plateformes, pensons à YouTube, Spotify ou Apple Music, qui nous donnent accès, pour certaines sans même avoir à payer, à des catalogues contenant des dizaines de millions de chansons.
Ce modèle, fabuleux pour les mélomanes, pose des défis sans précédents à tous les créateurs et producteurs de contenus.
Faire découvrir une chanson demande aujourd’hui plus de travail et de connaissances que jamais, alors que les revenus sont en chute libre.
Ce sont encore des entreprises d’ici qui produisent notre musique. Mais les nouveaux intermédiaires qui ont le pouvoir de la faire entendre sont étrangers. Ils échappent aux lois et règles que nous avons adoptées pour assurer la vitalité de notre culture. Ils œuvrent dans une grande opacité. Ils nous connaissent mal. Et comme il est arrivé il y a 40 ans, ils pourraient conclure que nous sommes un petit marché, bien singulier, qui ne mérite pas une attention particulière.
Voulons-nous vraiment nous en remettre à leur bonne volonté pour assurer la pérennité de notre chanson ?
Plus tôt cette année, le milieu culturel québécois a célébré, à juste titre, le maintien de l’exemption culturelle dans le nouvel accord de libre-échange survenu avec les États-Unis et le Mexique. Perdre cet acquis aurait été dramatique. Mais l’avoir conservé sans poser, maintenant et ici, les gestes politiques forts nécessaires pour permettre aux créateurs et producteurs de contenus de revenir à un marché équilibré et équitable serait inconséquent et irresponsable.
En ce moment, des lois clés sont révisées. Ces processus sont cruciaux. Exiger que nos contenus trouvent la place qui leur revient sur des plateformes étrangères imposantes et instaurer des mécanismes de financement des contenus adaptés à notre ère est essentiel… mais ces gestes demandent du courage politique.
Nous avons une conviction forte : les Québécois souhaitent que les créateurs et producteurs de contenus locaux continuent de leur présenter des œuvres professionnelles, originales, diversifiées, qui s’adressent avant tout à eux, qui les touchent et dans lesquelles ils se reconnaissent.
Cet appui du public doit se faire entendre. Le courage des politiciens en dépend.
Signent cette lettre, le 23 octobre 2018 :
Claude A. Ranallo, président co-fondateur de l’ADISQ, 1979
Guy Latraverse, Agent et producteur d’artistes québécois et de la francophonie (musique et spectacle), producteur d’émissions de télévision sur la chanson – Cofondateur de l’ADISQ, créateur du Gala de l’ADISQ et président de l’ADISQ, 1980
Michel Gélinas, Fondateur de Musicaction (1985), président de l’ADISQ, 1982 à 1984
Denys Bergeron, Producteur en télévision retraité, président de l’ADISQ, 1985
Alain Paré, Président, directeur général et fondateur de CINARS – Président de l’ADISQ, 1986
André Ménard, Cofondateur et vice-président,L’Équipe Spectra, Festival International de Jazz de Montréal – Président de l’ADISQ, 1989 et 1990
Michel Sabourin, Président, Le Club Soda – Président de l’ADISQ, 1991 et 1992
Rosaire Archambault, Président, Éditorial Avenue – Président de l’ADISQ, 1993 et 1994
Michel Bélanger, Président, Audiogram – Président de l’ADISQ, 1995 et 1996
Pierre Rodrigue, Vice-président, Bell au Québec et président, Musicaction – Président de l’ADISQ, 1997 à 1999
Jacques K. Primeau, Président, Productions Jacques K. Primeau et président, Partenariat du Quartier des spectacles – Président de l’ADISQ, 2000 à 2002
Yves-François Blanchet, Analyste en affaires publiques – Président de l’ADISQ, 2003 à 2005
Paul Dupont-Hébert, Président, Tandem.mu – Président de l’ADISQ, 2006 et 2007
Claude Larivée, Co-fondateur et président directeur général, La Tribu – Président de l’ADISQ, 2008 à 2018
Philippe Archambault, Directeur général, Audiogram et président, Fonds RadioStar – Président actuel de l’ADISQ